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Article publié le 23 janvier 2024.

Saisine de la Cnil par la CGT et la LDH sur le sujet de la variable lieu de naissance des parents - 28 juin 2023

Suite à cette saisine, la Cnil n’a finalement pas reçu la LDH et la CGT alors qu’elle avait initialement répondu qu’elle le ferait

A Mme la présidente de la Cnil

Objet : Ajout problématique d’une question sur l’origine des parents dans le bulletin individuel du recensement

Après une rencontre entre la Défenseure des Droits et le Directeur général de l’Insee (printemps 2021), et dans le contexte de pressions récurrentes de quelques chercheurs de l’Ined, l’Institut veut introduire une question sur le lieu de naissance des parents dans le bulletin individuel du recensement, avec en particulier le pays d’origine des parents immigrés.
Nous souhaitons vous exposer les raisons pour lesquelles, à notre sens, la CNIL ne doit pas avaliser l’introduction de cette nouvelle question au regard de la règlementation applicable en matière de recueil de données personnelles.
En effet, cet ajout par l’Insee pose la triple question de la nécessité, la proportionnalité et la pertinence du recueil de cette information par le bulletin individuel du recensement au regard de finalités précises. Nous affirmons que la réponse à cette triple question est négative.
Nous sommes d’autant plus préoccupés que nous considérons que le recueil de cette information dans le recensement n’est pas fondé et sociétalement dangereux.

* * *

Le recensement est d’abord un acte régalien destiné à dénombrer et caractériser les personnes en application de nombreux textes règlementaires. Les informations recueillies sont également largement mobilisées pour le travail statistique et, de ce fait, pour la recherche, mais son caractère régalien fait que cela n’en fait pas pour autant une enquête parmi d’autres.

Il n’y a pas de politique publique qui reposerait sur le recueil des pays de naissance des parents des personnes qui ont une origine immigrée. Le recueil de cette information dans le recensement serait donc aux seules fins d’études. Pour cette finalité précise, rien ne justifie de procéder à une collecte à vaste échelle, auprès de plusieurs millions de personnes chaque année, de façon exhaustive pour les agglomérations de moins de 10 000 habitants, et pour une part considérable de la population dans les villes plus peuplées.

Étonnamment, ni l’Insee, ni l’Ined, ni la Défenseure des Droits, n’ont explicité comment il est envisagé d’utiliser cette donnée du pays de naissance des parents des personnes recensées . Ils évoquent la lutte contre les discriminations, sans que ne soit démontré en quoi le recensement serait un outil indispensable. Or, à la différence des enquêtes thématiques permettant de mesurer d’ores et déjà de multiples effets des discriminations et qui continuent à être développées, l’introduction de cette question dans le recensement ne permettra manifestement pas de produire des analyses statistiquement pertinentes sur le sujet, en particulier d’analyser les inégalités « toutes choses égales par ailleurs ». Ont été aussi évoquées des utilisations pour soutenir des plaintes individuelles devant la justice, usage peu corroboré par les pratiques actuelles concernant les personnes immigrées pour qui on dispose pourtant déjà du pays de naissance.
Outre notre jugement négatif quant à sa nécessité, proportionnalité et pertinence, le recueil de cette information par le bulletin individuel du recensement est dangereuse pour plusieurs raisons.

La presse s’est récemment illustrée par des usages de l’information sur l’origine géographique, à l’image de la République du Centre et du Figaro qui, fin 2022, titraient sur les villes qui auraient le plus d’immigrés. La nouvelle question augmentera le nombre des personnes « d’origine étrangère » dans le recensement, en agrégeant deux générations, y compris les personnes nées en France. Cette question contribuera donc à alimenter les préjugés et les discours sur un soi-disant « remplacement ».

Parce que le recensement fait référence, comme l’a montré en son temps la diffusion de l’utilisation de la catégorie des « immigrés », il y a toute raison d’anticiper que l’utilisation d’une nomenclature banalisant, d’un côté, le regroupement des origines maghrébines et, d’un autre côté, celui des origines d’Afrique sub-sahariennes se généralisera, gagnant progressivement les sources statistiques et deviendra un descripteur aussi usuel que le sexe et l’âge. Une nomenclature agrégeant les pays de naissance sur plusieurs générations pour diffuser des résultats du recensement est un pas décisif pour contourner la décision n° 2007-557 DC du Conseil Constitutionnel du 15 novembre 2007 sur l’utilisation d’un « référentiel ethno-racial ».

Il faut aussi prendre en considération le développement par l’Insee d’un répertoire exhaustif et actualisé des individus et des habitations (projet RESIL) qui va permettre des appariements de fichiers administratifs et d’enquêtes, y compris avec des données du recensement. La disponibilité dans le recensement de l’origine géographique des parents rendra dorénavant possible l’association de l’état-civil, des adresses avec des origines sur deux générations, voire trois, pour une part considérable de la population.

À cela s’ajoute d’autres éléments préoccupants dont la conservation des données et leur accessibilité pendant les phases de collecte avec la part importante des bulletins remplis qui transitent en mairie, et aussi la perspective de passer, dans la décennie qui vient, d’un recensement par questionnaire à un recensement reposant sur des traitements automatisés de données provenant des fichiers administratifs.

* * *

Si nos organisations sont favorables à une enquête associée au recensement portant sur les discriminations,
à l’instar des études Trajectoires et Origines (TeO), introduire la question sur les origines immigrées des
parents dans le Bulletin individuel du recensement serait une rupture dans la définition de l’identité des
personnes pour une opération administrative et nécessiterait assurément un débat public qui pourrait être
conduit aussi dans le cadre de la mission éthique autour des nouveaux enjeux du numérique qui a été
confiée à la CNIL par la loi « pour une République numérique ».
Notre engagement dans les luttes contre les discriminations, notre soutien à l’extension des enquêtes de la
statistique publique pour alimenter les connaissances des causes et des effets et nos revendications pour
des politiques publiques efficaces ont été permanents au cours des dernières décennies. Nous avons aussi
suivi l’élaboration par le Gouvernement de son récent plan de lutte contre le racisme, dont les
discriminations sont une conséquence quotidienne.
C’est donc parce que nous sommes pleinement mobilisés contre les discriminations que nous alertons la CNIL
car nous ne voulons pas d’une question dont nous avons toute raison de croire qu’elle sera
contreproductive pour le combat à mener.

***
Pour pouvoir échanger avec vous sur l’ensemble des aspects de ce dossier, nous sollicitons un rendez‐vous à
cet effet.
Veuillez recevoir, Madame la Présidente, l’expression de toute notre considération.
Paris, le 28 juin 2023

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